AZL ♦ «dolphins are just gay sharks.»

La petite Annabelle était assise sur son banc, petit choco BN souriant à la main, elle attendait patiemment. Qu'attendait-elle ? La fin de la récrée, évidement. Et, plus globalement, la fin de la journée. La fin de la semaine. La fin de l'école.
Oui, l'enfant n'avait que sept ans mais déjà, l'école l'insupportait. D'abord, il y avait tous les autres enfants, de sales mioches baveux qui ne savaient même pas colorier leurs maisons sans dépasser. Puis il y avait les maitresses qui l'engueulaient sans arrêt parce qu'elle n'en avait rien à foutre, elle, de l'histoire de Gulliver. Déjà que Dora l'intéressait pas. Mais, le pire du pire, c'était quand même tout le temps qu'elle dépensait inutilement, en allant à l'école. Elle avait bien essayé de demander à ses parents si elle pouvait ne pas y aller ; ça n'avait marché qu'une fois et encore. Par contre, la technique du thermomètre contre le radiateur pour faire croire à de la fièvre, c'était faux. De grosses conneries, ouais! Ça n'avait pas marché. Peut-être que sa mère avait compris qu'elle ne pouvait pas avoir plus de 41 de fièvre et que, qui plus est, le thermomètre tout entier ne pouvait pas être brûlant. C'était ça, surement, l'avantage d'être infirmière.

Comme à son habitude, donc, la petite Annabelle tentait de faire passer le temps en jouant avec les cailloux qui se présentaient à ses pieds. Sauf que cette fois, elle fut dérangée par une chialeuse de la classe supérieur. La gamine releva doucement les yeux vers elle, se demandant ce que cette gosse pouvait bien avoir à lui dire. Pauline qu'elle s'appelait ou, un truc du genre.

Pauline ― On joue à la marelle là-bas et il nous manque une fille pour faire deux équipes... Tu veux venir jouer avec nous ?

Ahah. Mauvaise question. Ou alors mauvaise personne. Annabelle plongea néanmoins son regard dans celui de son interlocutrice avant de lui répondre sur un ton des plus neutres possibles.

Annabelle ― Non merci, je suis bien là.

L'enfant baissa les yeux, certaine que l'autre lui foutrait la paix maintenant qu'elle venait de se faire envoyer bouler. Bah non, même pas.

Pauline ― Mais, on joue à la marelle ! Et puis t'es toute seule, tu t'ennuies pas ?

Annabelle ― Non.

Réponse froide, brève et surtout, tête baissée.

Pauline ― T'es sûre ? Je t'ai demandé de venir parce que tu nous fais un peu pitié à être tout l'temps toute seule.

Là par contre, le regard noir. La tête qui se relève et le regard qui fusille l'autre. Pitié ? Non, ça par contre c'était effectivement la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Fallait pas, ma grande.

Annabelle ― Pitié ? Non mais tu t'es vu toi, sale blonde ? C'est toi qui fait pitié, retourne jouer à ta marelle de débile et fous-moi la paix sale fouineuse !

Là, effectivement, elle l'avait faite fuir. Avec un soupir, mais et alors ? Après, Annabelle Leclerc n'était pas faite pour avoir des amis. Et encore moins pour aller à l'école. Tant pis !

Comment ça avait commencé ? C'était assez difficile à dire. Comme ça, surement.

Caroline ― Eh Anna', tu veux fumer avec nous ?

Annabelle ― Euh, nan merci, ça ira.

Caroline ― Allez, c'est bon, flippe pas, c'est rien qu'une cigarette.

Annabelle ― Vraiment ?

Caroline ― Bah si j'te l'dis bordel ! Allez, viens !

Elle y était allé, le plus naïvement du monde. Parce que l'autre lui avait dit que c'était juste des clopes. Des putains de clopes à la con. S'en était pas, évidement. Pas habituée à fumer, elle n'avait au départ rien remarqué. Elle avait commencé par tousser, ou plutôt recracher ses poumons. Et puis, ils lui avaient appris, entre deux éclats de rire, à ne plus crapoter comme elle le faisait. Elle avait tiré une première vraie taffe. Une deuxième. Et hop-là, le joint lui appartenait à présent.
Elle avait fait Mario, sur une charriot volé au magasin d'en face. Elle avait fait Mario, bordel, Mario Kart ! Elle en hurlait de rire, en essayant d'attraper les pièces, et les autres, eux, ils l'encourageaient, ils l'encourageaient en lui disant de continuer, que bientôt elle retrouverait la princesse. Elle n'avait même pas encore combattu le premier boss.

Et puis, elle s'était réveillée là, allongée dans ce lit. Dans ce lit qu'elle ne connaissait pas. A moitié à poil. A moitié habillée - c'était déjà la bonne nouvelle. Ça aurait pu être pire. Putain, c'était le premier truc auquel elle avait pensé. Ça aurait pu être pire. Bah non, bordel, non ! Elle avait mis dix minutes à émerger, ne se souvenant même pas du moment où la saloperie avait fait le tour de leur cercle d'amis. D'amis ? Lol.
Elle s'était relevée doucement, avant de réaliser qu'un mec dormait à côté d'elle. Il dormait comme une masse. Il était torse nu. Au moins torse nu. Allez, il ne pouvait pas être à poil, lui aussi. Non, il était venu l'aider quand elle avait commencé à trop dérailler. Non, non, elle n'avait pas couché avec lui. Non, elle n'avait pas perdu sa virginité avec un inconnu, après avoir été droguée.

Catherine ― Annabelle, bordel, je t'ai dit de mettre ces affaires à laver !

Sortant doucement de ses songes, l'adolescente reprenait connaissance. Il ne fallu pas qu'elle se laisse abattre par ces vieilles pensés à la con. Ça faisait trois mois, maintenant. Elle finirait par passer à autre chose.

Annabelle ― Oui, c'est bon maman, je le fais.

Après tout, ça aurait pu être pire.

Ce qui lui était arrivée ? Effectivement, Annabelle aurait préféré que ça ne se déroule pas comme ça. Pas du tout, même. C'était bizarre comme la vie pouvait basculer en un rien de temps ; à un moment, ta vie est totalement parfaite. Ton petit job nase te rapporte suffisamment pour acheter la merde dont tu te remplies le nez, et le must c'est que tu sors avec celui qui fourni tout le monde - en plus d'être un super coup au lit, il te fait des réductions.

Si elle l'aimait ? C'était une excellente question. Elle n'en savait rien. A vrai dire, l'amour, c'était pas trop son truc. Les marques d'affection et tout, très peu pour elle. Elle aimait bien sa liberté ; des petites choses anodines qui, accumulées, ne lui permettaient pas d'avoir une relation stable. Parce qu'elle aimait s'allonger en travers de son lit deux places, elle aimait envoyer des messages dans son bain brulant, elle aimait manger à n'importe quelle heure de la nourriture qu'elle était la seule à aimer. C'était anodin mais finalement, tout ça ne lui permettait pas de vivre l'Amour, le vrai. Alors, non, elle ne devait pas l'aimer. Peut-être qu'au fond elle aimait juste sa présence dans son lit, un soir sur deux, et la poudre qu'il lui refilait sans jamais lui ordonner d'arrêter ses conneries parce que lui, il faisait pire. Ouais, c'était surement ça qu'elle aimait chez-lui.

Et pourtant, ça lui avait bien fait chier, quand tout son petit quotidien s'était cassé la gueule. Ça s'était passé un soir, alors qu'ils se faisaient des lignes sur un fond de Nirvana. Comme d'habitude, ils planaient tous les deux, et rien n'aurait pu les sortir de leur trip. Rien, c'est sûr ? Ça avait sonné à la porte. Une fois. Ils n'en avaient eu rien à branler, bordel. Ils avaient continué de sniffer leur merde. Et puis ça avait tapé à la porte, une fois. Deux fois. Trois fois. « Monsieur, c'est la police, ouvrez ! » Bordel de merde de fait chier. Ils étaient en pleins trip, mais ils ne planaient pas suffisamment pour ne pas remarquer qu'ils étaient dans une merde monumentale. A coup d'pied au cul, il lui avait ordonné de dégager, la fenêtre de la cuisine lui permettrait de rejoindre l'arrière de la rue sans trop de mal. Elle était défoncée mais elle l'avait écouté, consciente qu'il ne fallait pas qu'elle reste ici. Pourtant, elle n'avait pas pu s'empêcher de récupérer deux sacs qui trainaient à côté de leurs lignes, et de se barrer avec.

Elle l'attendait, assise sur sa chaise. Le parloir. C'était de la merde, ce truc. Tu peux même pas causer tranquillement parce que les autres autour crient. Du coup toi aussi tu cries. Du coup ça fait chier. Il était arrivé, avec ses menottes et son air fatigué. Le pauvre, il devait en baver. Enfin, il devait pas être du genre à se laisser marcher sur les pieds - c'était surement pour ça qu'il avait cette grande écorchure sur la joue gauche. Elle avait longuement réfléchi, mais maintenant sa décision était prise. Elle l'avait laissé lui demander si elle allait bien, et comment allait son nez. Elle lui avait répondu qu'elle était au top, et que depuis qu'il avait été envoyé au trou, elle ne s'était faite qu'une ligne et qu'elle avait pensé à lui tout le long. C'était faux, doublement faux. Non seulement, elle en avait fait bien plus qu'une, mais en plus, elle n'avait absolument pas pensé à lui. Et puis, elle lui avait coupé la parole, au moment où il lui racontait qu'il ne bouffait vraiment que d'la merde, ici. Elle avait eu envie de lui répliquer que, écoute mon gros, c'est pas l'hôtel Hilton ici, hein. Mais elle avait autre chose à lui dire. La dernière chose, d'ailleurs.

Annabelle ― Écoute, je... Je t'attendrais pas Henry, je t'attendrais pas. Je vais refaire ma vie et toi tu vas faire en sorte que la tienne ressemble à quelque chose. Je vais t'oublier, tu vas m'oublier et ce sera très bien comme ça.

Elle lui avait dit ça sur un ton sec, les yeux dans les yeux. Il ne pouvait pas douter de sa sincérité ; non seulement elle ne reviendrait pas le voir mais, en plus, à sa sortie, elle ne serait pas là. Elle l'abandonnait, là, alors qu'elle aurait pu prendre presque aussi cher que lui. Il l'avait sauvé et elle, elle le laissait tomber. Sans aucun remord. Elle s'était levé lentement, n'attendant absolument pas de réaction. C'était tout ce qu'elle ne désirait pas ; l'entendre se plaindre, l'entendre l'insulter. Il lui sembla qu'il venait de hoqueter ; putain, pourvu qu'il ne chiale pas! Elle ne s'était pas retourné. C'était trop tard. Elle avait pris sa décision, elle s'y tiendrait. Et déjà, dans sa tête, elle entendait une petite voix répéter inlassablement : t'es une salope Leclerc, une salope.