Leslie ☮ feat. Leighton M.

HISTOIRE • « Si certains pensaient que ma vie était normale, que je vivais toujours chez ma parents qui m’aimaient, que j’avais une famille unie, se mettent le doigt dans l’œil, comme on aime le dire chez moi. Chez moi, quand j’étais enfant, c’était Saint-Bruno, sur la Rive Sud de Montréal. À vingt minutes de voiture de la ville, deux heures de métro et d’autobus. Pourquoi certaines personnes connaissent cette petite ville ? C’est généralement en raison du centre commercial qu’on y trouve, les promenades St-Bruno, et le Mont Saint-Bruno, petite station de ski où tous ceux qui pratiquent ce sport ont sûrement fait leurs premières progressions dans cette mini-montagne qui est la plus près de Montréal. Dans une maison unifamiliale non loin de cette station de ski, c’est là que mes parents ont décidé de s’installer après leur voyage de noces. Ma mère est tombée enceinte quelques semaines avant leur mariage, donc ce fut quelques mois après leur retour de voyage que je vis le jour au printemps 1991.

Durant quatre ans, mes parents semblaient heureux. C’est normal, ils venaient de se marier, alors que ça faisait quatre ans et demi qu’ils avaient commencé à sortir ensemble. En effet, mon père n’avait mis que six mois avant de demander ma mère en mariage, pensant que c’était elle, la femme de sa vie. On dit que les enfants peuvent être source de conflit, mais à ce qu’il paraît, j’étais tellement sage que mes parents n’avaient rien à dire, ne se chicanaient jamais à mon sujet. Ce fut ainsi pendant quatre ans, jusqu’au moment où ma mère apprit qu’elle était de nouveau enceinte. Encore une fois, mes parents étaient fous de joie. Dans leur tête, le second enfant serait aussi calme que moi, aussi facile à prévoir et à s’occuper. Leur beau rêve de parents parfaits fut brisé, tout comme leur couple, au moment où ils se rendirent compte que ma petite sœur n’était pas une petite princesse comme je l’ai été. Elle pleurait beaucoup, et mes parents ne savaient jamais vraiment pourquoi, si bien qu’ils n’eurent pas d’autre choix que de demander de l’aide à un médecin, qui leur apprirent que Andréa, ma petite sœur, était atteinte d’une maladie infantile, et qu’elle ne dépasserait jamais son vingtième anniversaire de naissance. Cette nouvelle vint écraser le couple que formaient mes parents. Ils étaient déboussolés. Ils eurent besoin d’aide de certaines personnes pour s’occuper de ma petite sœur, qui ne progressait pas aussi rapidement que les autres enfants, loin de là.

Finalement, c’est moi qui suis devenue la « nounou » d’Andréa quand j’eus environ treize ans. La raison est que mes parents ont eu leur première dispute majeure. La vaisselle a volé dans la maison, moi-même j’ai été atteinte par un éclat et j’ai été blessée au bras. Des points de suture et une cicatrice ont arrangé la situation, du moins physiquement. Mentalement, cet éclat représentait le moment où mes parents n’étaient plus mes modèles. Ils étaient plutôt les modèles à ne pas suivre. Comment pouvait-on ne pas aimer ses parents ? C’est une question qui n’est même plus tabou pour moi. Ce n’est pas difficile d’y répondre. Premièrement, il suffisait de leur en vouloir d’avoir brisé leur famille de rêve, croire que les contes de fées existaient, et complètement oublier leurs enfants. Je ne les appelais même plus « papa » ou « maman », je les appelais par leur prénom, quand je leur adressais la parole. De toute façon, ils n’avaient presque plus le temps de me parler, à ma sœur et à moi, puisqu’ils étaient trop occupés à se disputer.

La chambre que nous partagions ma sœur et moi était devenu notre petit refuge. Nous avions nos chambres séparées auparavant, mais c’est moi qui ai décidé de demander à un ami de mon père qui travaillait dans la construction d’abattre le mur qui séparait ma chambre à celle de ma sœur, nous faisant une chambre ayant l’équivalent de la moitié du deuxième étage de la grande maison. Ma petite sœur, qui arrivait à peine à se déplacer, y passait toutes ses journées. Moi, j’y apportais le nécessaire. De la nourriture, des objets pouvant la divertir. C’est probablement la seule chose pour laquelle je pourrais « remercier » mes parents un jour, soit de m’avoir permis de m’occuper de ma sœur, parce que sans cela, je ne serais jamais devenue aussi débrouillarde, et je n’aurais jamais été aussi proche d’Andréa. J’étais consciente qu’elle ne pourrait jamais vivre plus vieux que vingt ans, mais je voulais que ses vingt années, ou moins, ne soient pas un enfer, comme moi je devais en vivre un. Notre grande chambre, c’était son petit paradis, et j’étais presque jalouse, puisque parfois, elle n’avait aucune idée de ce qui pouvait se passer en sortant de là.

Ma vie d’adolescente extérieure se résumait à ma chambre, et à l’école. J’avais quelques amies, mais je leur expliquais clairement que je ne pouvais pas sortir avec eux, et bien souvent, j’en ai perdu pour cette raison. Mes vrais amis comprenaient ma situation, et quand ils voulaient passer du temps en ma compagnie, ils prenaient la peine de venir chez moi, dans cette grande chambre, où ma sœur était toujours. Mes amis devenaient les amis de ma sœur peu à peu, ils apprenaient à s’attacher et à l’aimer comme moi je le faisais. À l’école, je travaillais comme je le pouvais. Autre chose pour laquelle je pouvais remercier mes parents; mon intelligence. J’arrivais quand même à avoir d’excellentes notes. Andréa me laissait toujours étudier quand j’avais le temps, et quand elle le pouvait, elle m’aidait même. On aurait juré que ça lui faisait plaisir de me voir réussir autant. Mes parents, eux, n’en avait strictement rien à faire. Voici comment la majorité de ma vie se passa, jusqu’au point tournant que fut l’année de mes dix-sept ans.

Dix-sept ans, l’année où tout bascula, tout changea, où je devins une nouvelle personne. Au mois de juin, je reçus mon diplôme d’études secondaires. J’eus même l’honneur de prononcer un discours en raison de mes bons résultats. Mais comme je venais d’une école assez simple sur la Rive Sud, ce n’était pas assez « reconnu » pour que j’obtienne une bourse d’études pour le cégep. De plus, mes parents n’y étaient même pas présents. Je n’étais pas insultée de cela, je ne les avais même pas invités. Par contre, quand la cérémonie de remise des diplômes fut terminée, il fallut que je discute avec mes professeurs plutôt que de passer du temps avec ma famille, comme tout le monde le faisait. N’ayant pas mon permis de conduire, je n’avais pas pu emmener ma petite sœur, comme j’aurais voulu qu’elle sorte, ne serait-ce que pour voir cela, voir le monde une fois dans sa vie. Je le regrette toujours aujourd’hui.

Au mois de juillet, mes parents me prennent à part pour une des premières fois de ma vie, afin de m’annoncer qu’ils allaient divorcer. Je ne répondis rien, mais je pensais intérieurement qu’il était enfin temps, que la seule chose qui les tenait en couple – si on pouvait appeler cela ainsi –, c’était l’orgueil social. Maintenant, ils n’étaient plus capables de se supporter. Ils me demandèrent chez qui je comptais vivre, sachant que ma mère gardait la maison à Saint-Bruno et que mon père voulait emménager à Laval, sur l’autre rive de Montréal. Ma décision serait également celle d’Andréa, puisque j’étais la seule qui était capable de m’occuper d’elle. Ma réponse fut évidente : Je n’allais vivre avec aucun des deux, Andréa non plus. J’avais décidé d’accepter d’entrer dans un cégep de Montréal dans un programme enrichi de sciences humaines, et j’allais vivre dans les résidences offertes près du cégep en question. J’emmenais Andréa avec moi. Je me trouverais un emploi, les résidences n’étaient pas chères, et c’est moi qui percevrais l’aide sociale offerte pour Andréa. Ils n’avaient pas un mot à dire sur ma décision, et j’avais déjà entrepris les démarches pour qu’Andréa et moi obtiennent notre émancipation officielle.

Août arriva. C’était le moment pour moi de me rendre au cégep. Au début du mois, j’avais prévu de m’installer dans ma résidence universitaire. J’avais décidé d’en prendre une plus grande, un loft tout grand ouvert, où je pourrais avoir l’œil sur ma sœur constamment, même si elle était plus débrouillarde, légèrement, que lorsqu’elle était une enfant. Alors que je revenais de faire un voyage de valises et que je revenais chez moi pour en faire une autre, je vis l’ambulance devant moi emporter Andréa; c’était fini, elle venait de cesser de respirer, comme les médecins l’avaient prédit. Je le savais qu’un jour, cela allait arriver, mais j’eus beaucoup de mal à le prendre. Elle n’avait que treize ans, il aurait fallu qu’elle vive encore sept ans. Elle était partie trop rapidement.

Pour noyer mon chagrin, durant deux ans, je croulai sous les études, et sans le vouloir, sous cette peine énorme, je réussis à avoir des résultats exceptionnels, me plaçant sur un piédestal comparativement aux autres étudiants de l’école, qui étaient pourtant nombreux, alors que j’étais dans un programme enrichi. Cette fois-ci, personne ne pouvait passer à côté. Mes professeurs se moquaient un peu de mon état psychologique, ce qui importait, c’est que j’étais parmi les candidats les plus aptes à obtenir une bourse d’études pour l’université. Ils ne savaient pas non plus que depuis mon dix-huitième anniversaire, je travaillais au Centre Bell pour les matchs du Canadien de Montréal, en tant qu’animatrice. C’était la seule chose qui me permettait de sortir de mon sombre quotidien, me permettre de sourire un peu. Mes amis tentaient bien de le faire, mais personne n’y arrivait. Cette sorte de dépression dura jusqu’à la fin de mon cégep. En fait, jusqu’au moment où j’obtins une bourse complète d’études pour trois ans d’une université montréalaise. Comme je le voulais, je pus entrer à l’université en marketing.

Malgré cette bourse d’études, je devais continuer à travailler pour pouvoir payer mon appartement et les quelques dépenses que ma bourse et l’assistance – puisque j’en recevais toujours en guise de « remerciement » pour m’être occupée de ma sœur durant tout ce temps – ne pouvaient pas payer. C’est au cours d’une soirée de travail qu’un autre point tournant de ma vie se présenta. Alors que normalement, j’animais la zone famille, qui comportait surtout des adultes avec leurs enfants, je me retrouvai dans la zone des grands amateurs, ceux qui prenaient parfois un peu trop de bière. Un groupe d’étudiants qui en avaient justement pris beaucoup trop était dans cette section dans laquelle je travaillais. Ils commencèrent à me harceler, tentaient de me toucher à chaque fois que je passais près. Je tentais de me fâcher contre eux, il n’y avait rien à faire. Puis, comme un chevalier sur son cheval blanc, sans l’armure et le cheval, un jeune homme arriva et vint m’aider avec ces étudiants qui auraient certainement une foutue gueule de bois le lendemain matin. Le coup de foudre fut instantané. J’appris par la suite que ce chevalier qui m’avait sauvée s’appelait Alexis, et que nous avions quelques cours en commun puisque nous étions dans la même faculté à l’université. Voilà maintenant onze mois de cela, et à tous les jours, je me rends compte qu’Alexis est fort probablement l’homme de ma vie. Je l’aurais rencontré il y a quelques années, je n’aurais peut-être jamais rien voulu savoir de lui, mais maintenant, il est pour moi l’homme idéal. Nous avons tous les deux des problèmes avec nos parents, les miens, je ne leur parle plus depuis maintenant deux ans, malgré leurs tentatives de me rejoindre, mais nous allons les surmonter ensemble, parce que nous nous aimons, et c’est tout ce qui comptait. »